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Vue d'une coupe du sol pour mettre en valeur la géothermie de surface et les géostructures.

Les géostructures énergétiques

10/01/2023 - 17:50
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Vue d'une coupe du sol pour mettre en valeur la géothermie de surface et les géostructures.

Les géostructures se présentent avec un mot composé assez évocateur, puisqu’il s’agit très exactement d’utiliser les structures basses d’un bâtiment, ou d’un quelconque ouvrage de génie civil, pour tirer parti de la géothermie, ici de faible profondeur. L’abréviation la plus couramment utilisée par les professionnels est GEN, pour géostructures énergétiques.  

Concrètement, les sous-sols d’un bâtiment, ses fondations, ou encore celles d’un parking souterrain ou d’un passage sous voies, s’enfoncent sous la terre, et parfois profondément, lorsqu’il s’agit d’ancrer un immeuble dans un sol meuble, par exemple.

Techniquement, il s’agit d’incorporer des tuyaux creux de matière composite très résistante dans les pieux de béton des fondations, les dalles, les sous-sols, et même les murs de séparation qui s’enfoncent dans le sol, et ce avant qu’ils ne soient coulés.

Ensuite, on relie le tout à une pompe pour faire circuler un liquide caloporteur qui captera la chaleur du sol l’hiver, et sa fraicheur l’été, car à ces faibles profondeurs, le sol, selon sa composition, maintient une température constante comprise entre 9 et 14 degrés …

L’efficacité du système sera fortement accrue en le couplant avec une ou plusieurs pompes à chaleur réversibles.

  • Nous voilà donc en présence d’un système énergétique à classer dans la géothermie à faible profondeur, donc à faible intensité, mais avec des avantages sérieux :
  • Aucun aménagement qui occuperait de précieux terrains constructibles.
  • Pas de forage, pas de sondes, en général pas d’autorisation spéciales autres que celle du permis de construire, puisque tout est intégré aux structures du bâtiment en contact avec le sol…
  • Réalisables presque partout, y compris dans les zones de protection des eaux ou les forages sont interdits.
  • Haut coefficient comparé aux pompes à chaleur aérothermique.
  • Émission très réduite de CO2 en fonctionnement, voire nulle si l’électricité de la pompe à chaleur est produite de manière durable.
  • Coût plus faible en moyenne de 20 % par rapport à une installation géothermique classique.
  • Une climatisation locale, propre, inépuisable et renouvelable.

Cela en fait un choix tout spécialement adapté aux zones de protection des eaux souterraines, où la géothermie par sonde est bannie d’une façon parfois excessive.

Le sol garde une température constante, les renards le savent !

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Tanière de renard pour figurer le sol qui garde une température constante, base de la géothermie et des géostructures énergétiques.

En effet, même si le principe de précaution est justifié, il ne devrait pas devenir dogmatique, et toujours être balancé avec les avantages en matière de protection du climat, notamment, car il existe des solutions pour réaliser des forages qui ne mettent pas en péril leur environnement...    

En Suisse, et selon les cantons, les géostructures énergétiques évitent largement cet écueil si elles restent à une distance d’au moins deux mètres du plafond de la nappe phréatique, et sont traitées dans le cadre du permis de construire.

D’ailleurs, même si le procédé est relativement nouveau (il date des années 80) à peine 1% des installations géothermiques en Suisse font appel aux géostructures, ce qui est fort peu compte tenu du potentiel de cette technologie.

Pourtant, des exemples de grande ampleur pourraient changer la donne, comme le terminal E de l’aéroport Zurich/ Kloten, entièrement climatisé grâce à l’usage de 306 pieux énergétiques qui apportent 75 % de l’énergie utilisée pour la climatisation (refroidissement et chauffage) du bâtiment.

Et l’utilisation des géostructures ne s’arrête pas aux bâtiments eux-mêmes, puisque des tunnels, des autoroutes, des parkings, pourraient ainsi produire du chauffage ou du refroidissement, de façon locale, renouvelable, et sans émission de CO2 autre que les matériaux nécessaires à leur construction.

Côté inconvénients, parce qu’aussi enthousiasmante que soit une technique, il y en a toujours :

  • Plus simple à réaliser lors de nouvelles constructions, et de préférence celles qui ont des fondations en béton, pour des raisons de conductivité élevée de ce matériau. Cependant, une startup de l'EPFL, Enerdrape, propose aussi des panneaux conducteurs qui peuvent être installés sur des ouvrages déjà réalisés, comme des tunnels ou des parkings souterrains.    
  • L’étude des types de sols est importante, car introduire de l’air chaud (l’été) dans les sols peut provoquer, selon leur composition, en particulier argileuse, une dilation qui doit être modélisée et anticipée.
  • Nécessite une surface au sol relativement importante et des fondations profondes pour obtenir de bons résultats.
  • Enfin, le système de chauffage, idéalement réversible, doit disposer d’un excellent rendement et d’une faible consommation de chaleur au mètre carré.

Comme on le voit, quand les conditions sont réunies, les avantages demeurent conséquents…   

Alors, pourquoi cette technique relativement récente est-elle si méconnue ?

Selon le Professeur Lyesse Laloui, du LMS (laboratoires de mécanique des sols) de l’EPFL, les investissements qui doivent être consentis, et les connaissances, tant scientifiques et techniques, n’étaient pas encore réunis pour dimensionner correctement ce type d’ouvrage, ce qui retarde encore leur adoption.

Toujours à l’EPFL, des programmes de simulation logicielle dynamiques (PILESIM, TRNSYS, notamment) ont été créés pour estimer avec précision le rendement des géostructures ; à noter que ces outils peuvent aussi servir à simuler un champ de sondes géothermiques plus classiques. 

Des fondations profondes, une pompe à chaleur industrielle et Bay View, le campus de Google.

Dans le monde, en 2023, on estime à un peu plus de mille ouvrages utilisant les géostructures comme pour des besoins de refroidissement ou de chauffage, dont une petite quarantaine en Suisse.

Parmi eux, outre le terminal de l’aéroport déjà cité, un bâtiment scolaire, à Fully /VS, ou encore le centre de distribution des marchandises de l’entreprise Aldi, à Domdidier / FR.  

À noter que Bay View, le récent campus géant de Google à Mountain View, en Californie, ne compte que sur un mélange de panneaux solaires et de pieux énergétiques pour assurer l’ensemble de sa climatisation ; avec 1,2 million de m2, c’est l’un des plus grands bâtiments du monde à utiliser les géostructures énergétiques !

À la lumière de ce qui précède, cette forme de géothermie à basse température devrait prendre une part de plus en plus importante dans la climatisation des bâtiments, et ce d’autant plus qu’elle peut être installée dans quasiment tous les sols pour un modeste surcoût facilement amorti sur la durée.    

Bien sûr, la plupart du temps, les géostructures ne suffisent pas pour assurer la climatisation complète d’un grand bâtiment ou d’un ensemble conséquent…

C’est donc à voir comme une partie d’un tout, une nouvelle façon de concevoir les habitations, qui peut comprendre une ou plusieurs pompes à chaleur alimentées par d’autres énergies renouvelables (solaire et éoliennes) dont la production est elle aussi implémentée sur ou aux abords de l’ouvrage.

Pour conclure, on tient là une piste très prometteuse pour la décarbonation complète (et économique) de nos systèmes de climatisation, un terme qui, rappelons-le, englobe autant le chauffage que le refroidissement !