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Le barrage hydroélectrique d'Emosson, en vue panoramique.

La centrale du Nant de Drance

17/12/2022 - 10:42
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Le barrage hydroélectrique d'Emosson, en vue panoramique.

En surface, la centrale du Nant de Drance est un complexe de deux barrages retenant autant de lacs artificiels, l’un placé au-dessus de l’autre.

Situé dans la vallée du Trient, dans le canton du valais, près de la frontière française, cet ouvrage culmine à plus de 2.200 mètres d’altitude et représente une solution aussi efficace que techniquement élégante aux fluctuations des énergies renouvelables, notamment solaires et éoliennes.

Comment ?

Aux origines était le barrage poids-voûte du Vieux-Emosson construit en 1955 pour récolter l’eau de fonte des neiges, qui était ensuite vidangée dans le lac artificiel d’Emosson, situé en contrebas. Ce dernier, datant de 1975, type poids-voûte lui aussi, fut le dernier grand barrage érigé en Suisse romande.

Cette superposition des deux ouvrages donna une idée aux ingénieurs et en 2008 naquit la société Nant de Drance SA, avec pour objectif de réaliser un grand complexe hydroélectrique tirant parti de cette disposition particulière.  

Les actionnaires sont, par ordre des contributions : Alpiq, les CFF, IWB, et les forces motrices valaisannes, soit trois producteurs d’électricité, et le plus grand consommateur de Suisse, les CFF, car maintenir un réseau ferroviaire exige un réseau électrique stable et endurant, particulièrement tôt le matin, quand les trains sont démarrés en même temps, ce qui explique l’intérêt particulier de la grande régie pour la centrale du Nant de Drance.  

Et pour gigantesque qu’il soit, cet immense projet est pourtant basé sur un principe désarmant de simplicité, le pompage / turbinage :   

Quand l’électricité sur le réseau est abondante (heures creuses de nuit, ou par forte production des énergies renouvelables) le tarif est bas et la consommation faible, on en profite pour transférer l’eau du lac inférieur vers le lac supérieur (pompage) une opération qui coûte de l’énergie.

À l’inverse, lors des pics de consommation, et/ou quand la production sur le réseau est trop faible, on relâche cette eau (turbinage) vers le lac inférieur, ce qui produit de l’électricité qui sera vendue plus cher que lors du pompage aux heures creuses, un bénéfice qui compense la perte d’énergie, car le rendement de ce type d’installation est de 80%, ce qui implique un déficit de 20 % dans l’opération de remontée des eaux…

Alors quel intérêt me direz-vous ? Quatorze années de travaux (études comprises) pour, au mieux, équilibrer ses comptes, voire dégager une faible rentabilité en cas de hausse des tarifs ? 

Le stockage !

Le barrage de Vieux Emosson, à l'origine pour recueillir la fonte des neiges

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Le barrage de Vieux Emosson, qui alimente la centrale électrique du Nant de Drance.

Avec une capacité de stockage de 20 millions de kWh et une puissance installée de 900 MW disponibles en 10 minutes, la centrale du Nant de Drance offre au réseau électrique une puissance proche d’une centrale nucléaire type Gösgen, utilisable en permanence, selon les besoins, y compris une mise en réserve partielle en prévision d’une forte demande ultérieure.  

Et le tout avec une énergie hydraulique renouvelable, l’eau, disponible ici en circuit possiblement fermé, sans émission de carbone ou presque et en toute indépendance !  

Pile, sans mauvais jeu de mots, le type d’installation nécessaire en 2022, dans le contexte géopolitique et environnemental qui est le nôtre, mais il n’en a pas toujours été ainsi…

Pour inaugurer la centrale du Nant de Drance en septembre 2022, il fallut convaincre en 2008, quand l’électricité était peu coûteuse et la pression climatique moins forte, que le titanesque chantier d’élévation du barrage de Vieux-Emosson (pour en doubler la capacité de rétention) et, surtout, la construction souterraine de l’immense centrale hydroélectrique de pompage/turbinage était indispensable, sinon rentable, et allait le devenir de plus en plus…   

Là, les chiffres techniques sont évocateurs : un chantier de 2 milliards de CHF qui occupa 400 ouvriers pendant 10 ans pour excaver 1,7 million de mètres cubes de roches, et construire une centrale souterraine ultramoderne invisible en surface, protégée des événements extérieurs, qu’ils soient naturels ou humains…  

Au cœur du roc, à 600 mètres de profondeur, dans la grande salle des machines, une caverne initiale haute de 52 mètres et longue de 200, six pompes-turbines Francis d’une puissance de 150 MW chacune, sont alimentées par l’eau d’une conduite forcée à une pression de 24 bars…

Le complexe est formé de 18 km de galeries souterraines, y compris les amenées d’eau ! Sans oublier deux nouvelles lignes électriques de très haute tension (380 kW) dont l’une partiellement enterrée, rejoint la vallée du Rhône, à la hauteur de Martigny, 20 km plus bas… 

La centrale hydroélectrique de Nant de Drance est donc celle de tous les superlatifs, du moins à l’échelle de notre petit pays…

Et pourtant, elle n’est pas la plus puissante de Suisse, ce record appartenant, pour 100 MW de plus, à la centrale électrique Linth-Limmern, située dans le canton de Glaris, avec 1000 MW tout juste !

La centrale en chantier pour recevoir les six turbines Francis, et la voute inversée du barrage le plus haut

Vous êtes perdu parmi les mégas et autres kilowatts heures ?

Alors, à titre d’exemple, selon Alain Sauthier, Directeur de la centrale, en 20 heures de turbinage (20 GWh) le complexe du Nant de Drance peut fournir autant d’énergie que 400.000 batteries de voitures électriques de taille moyenne !

Voilà de quoi contribuer à équilibrer un réseau en limite de charge, non seulement pour éviter une coupure brutale, le blackout tant redouté, mais aussi pour lisser et profiter des périodes où l’électricité est excédentaire sur le réseau suisse, voire européen, comme en été, par grand soleil, ou le jour en hiver, par régime de vent soutenu, quand les champs d’éoliennes allemandes produisent beaucoup avec peu de possibilités de stockage, notamment.

La centrale hydroélectrique du Nant de Drance qui, en guise de clin d’œil, tire son nom d’un petit torrent local, est l’une des réponses au besoin de stockage qui nait de l’imprévisibilité naturelle des énergies renouvelables, à l’exception notable de la géothermie, dont la production est particulièrement stable.  

D’autres centrales de pompage/ turbinage existent dans notre pays, notamment celle de Veytaux 1 et 2, alimentées par les conduites forcées du barrage de l’Hongrin pour le turbinage, et par les eaux du lac Léman pour le pompage.

Ces stations, dites de réglages, sont très efficaces pour stabiliser un réseau électrique, et la Suisse, avec une vingtaine d’installations actuellement en service en 2022, peut compter sur une puissance de réserve de 3.600 MW au maximum, et cette capacité n’est pas définitive.

En effet, d’autres grands projets comme Lago Bianco et Grimsel 3, notamment, connaissent un regain d’intérêt, directement inspiré par le prix actuel de l’électricité, mais aussi par la tendance (toujours plus d’énergies renouvelables décentralisées aux productions aléatoires) et leur achèvement pourrait porter cette réserve à 5.200 MW dans un avenir pas si lointain.

Avec cette approche, politiquement discrète mais efficace, à défaut d’être très rentable, le réseau électrique suisse s’est doté, depuis les années 50, d’une ossature lourde de production et d’accumulation d’énergie hydraulique qui assume, en moyenne, 60 % de notre consommation électrique annuelle...

Et cette part accumulative devra encore être développée pour pallier l’abandon programmé de nos dernières centrales nucléaires qui, elles aussi, jouent ce rôle de régulateur de notre réseau électrique national, ce qui contribue à la stabilité de celui de l’Europe, auquel nous sommes interconnectés.