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La très impressionnante puissance mécanique de l'eau.

L'énergie hydraulique

24/11/2022 - 12:00
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La très impressionnante puissance mécanique de l'eau.

La force de l'eau, exploitée depuis deux milléanaires au moins...

Historiquement, la force de l’eau, ou plutôt, l'utilisation de son énergie, est connue depuis l’invention de la roue à aubes, soit celle du moulin qui fut la première réalisation d’un moteur hydraulique primitif.

Les premiers écrits, notamment ceux de Strabon, un géographe grec, mentionnent l’utilisation de l’énergie hydraulique et situent cette invention au proche orient en – 25 avant notre ère, mais cela ne signifie pas qu’elle n’ait pas, sans laisser de trace, éclos ailleurs et avant...

Ces premiers moulins rudimentaires utilisaient la force de l’eau pour entraîner une roue à aubes en bois positionnée dans un cours d’eau naturel. Pour mieux contrôler le débit grâce à des vannes en bois, ils furent ensuite souvent construits le long d’un canal (le bief, ou le biez) creusé parallèlement à la rivière pour lisser les crues. Certains biefs remplissaient déjà un bassin de retenue en amont du moulin, ce qui constituait une réserve d’énergie hydraulique.  

Techniquement, l’eau met en rotation une roue à aubes qui transmet sa force par le biais d’un axe qui, à l’autre extrémité, fait tourner une meule, soit une autre roue, souvent en pierre, chargée d’écraser le grain pour le transformer en farine, utilisation la plus ancienne connue.  

On parle de moulins grecs quand la roue est horizontale et l’axe vertical, et de moulins romains quand c'est l'inverse (roue verticale, axe horizontal) ce qui est plus commun dans nos régions.

Au cours des siècles, d’autres déclinaisons de ce premier moteur hydraulique virent le jour, notamment au gré des progrès effectués sur les engrenages, pour extraire de l’huile des noix, des olives, du Colza, mais aussi pour scier du bois, travailler les métaux, ou encore pomper de l’eau.

Il fallut attendre l’invention de la machine à vapeur au 17e siècle, puis la compréhension de l’électricité, pour que l’énergie hydraulique mécanique soit remplacée dans quasiment tous les usages industriels, tous sauf un : la production de l’électricité, justement !

Itaipu, au brésil, l'une des centrales hydroélectriques les plus puissantes jamais construite.

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Le complexe hydroélectrique brésilien d'Itaipu, le 2 ème plus puissant du monde après celui des Trois Gorges, en chine.

Si les premières centrales thermiques étaient efficaces pour produire de l’électricité à partir d’un combustible fossile, charbon, pétrole ou encore gaz (on se souciait peu de réchauffement climatique au 19e siècle) l’idée de produire de l’électricité industrielle avec la force hydraulique se concrétisa avec la première centrale hydroélectrique d'Angelo Bertini de Paderno, qui fut construite sur l’Adda, un fleuve italien.

Là encore, comme avec la roue à aubes d’antan, le principe est simple : quatre turbines sont installées sur un axe horizontal et reçoivent un flux d’eau qui entraine leur rotation. L’axe ne transmet plus la force hydraulique à une meule à grain, mais à un alternateur synchrone qui convertit l’énergie reçue en électricité.

Si, dans l’exemple précédent, l’énergie hydraulique dépend du débit de la rivière ou du fleuve, une autre invention, française cette fois, va beaucoup améliorer le rendement, la conduite forcée mise au point par Viallet et Bouchayer, deux industriels grenoblois.

Le principe consiste à découpler l’endroit où on capte l’eau, de préférence en hauteur, sur une colline ou une montagne, pour la précipiter sur les turbines, qui sont situées en contrebas, avec les alternateurs. Poussée par la gravité dans le diamètre restreint de la conduite, l’eau acquiert une énergie d’autant plus grande que le dénivelé est important, ce qui démultiplie la force appliquée sur la turbine, et donc l’énergie qu’elle produit ! 

Dans cette première moitié du 20e siècle, cinq pays sont pionniers dans l’énergie hydroélectrique de grande puissance, avec par ordre de grandeur de production : les États-Unis, le Canada, l’Italie, la France et… la Suisse !

Avec 27,5 TWh, les États-Unis se taillaient la part du lion, mais la Suisse avec 5 TWH était sans aucun doute le champion de la production hydro-électrique de cette époque, du moins si on rapporte ce chiffre à la taille de notre petit pays…

Et de 1937 à nos jours ?

Les grands barrages hydroélectriques se multiplient dans le monde partout où cela est possible, mais surtout là où les immenses moyens financiers et humains nécessaires peuvent être investis.

C’est sans doute le problème principal du grand hydraulique, la hauteur des moyens engagés, et l’impact sur l’environnement, barrage et lac de retenue compris. Sans oublier une conception et une sécurité sans faille, y compris au niveau sismique, qui se répercute forcément sur les coûts de construction, car en cas de rupture brutale, le risque d’inondations particulièrement destructrices ne doit pas être sous-estimé.    

Une roue à aube antique, son équivalent moderne une turbine Pelton, et la même couplée à son alternateur.

À titre d’exemple, voici quelques chiffres sur le plus grand barrage poids de Suisse, celui de la Grande Dixence en Valais, qui est même l’un des plus grands d’Europe :

Érigé entre 1953 et 1961 sur le val Des Dix à 2365 m d’altitude par 1600 ouvriers, le barrage est haut de 285 mètres pour une couronne (largeur courbe) de 748m. Épais de 193 m à sa base pour 15 m au somment, l’ouvrage à nécessité près de 6 millions de mètres cubes de béton ! Le lac de retenue ainsi créé sur une longueur de 5 km offre un volume utile de 400 millions de m3 d’eau…

La puissance de production électrique de ses quatre centrales électriques situées en contrebas et alimentées par conduites forcées culmine à 2000 MW, ce qui représente la puissance moyenne de deux réacteurs nucléaires, pour un coût de 400 millions de CHF de l’époque, pas loin de 2 milliards actuels.

Et cela en valait-il la peine ?

Sans aucun doute !

En Suisse et selon le Comité suisse des barrages, il existe actuellement près de 200 grands barrages essentiellement situés dans les alpes, mais pas tous, car bon nombre utilisent le cours des fleuves et des grandes rivières de notre pays.

En 2020, cette profusion d’ouvrages hydroélectriques couvre près de 60 % de l’électricité produite en Suisse (admin.ch) contre 32.9 % d’énergie nucléaire, 2.3 % d’énergie fossile (centrale à gaz) et seulement 6.7 % d’autres énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse, géothermie).

Cette part de près de 60% d’énergie hydraulique est progression, car la conjoncture actuelle comme le réchauffement climatique incitent à profiter au maximum de cette énergie propre, renouvelable et n’émettant pas ou peu d’oxyde de carbone. 

De nombreux barrages vont être rehaussés, augmentant du même coup la réserve de turbinage, et quelques rares autres (faute de place) sont en projets de construction sur des lacs glaciaires situés dans des zones inhabitées, comme au Gorner près de Zermatt.

Fortement sous-estimé en Suisse, le potentiel des microcentrales hydroélectriques

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Flux de l'eau pour illustrer la puissance de l'énergie hydroélectrique.

Sans oublier qu’il existe un fort potentiel de développement à l’autre extrémité des possibles, celui des microcentrales hydrauliques abordables pour les collectivités, qui pourraient essaimer le long des cours d’eaux de Suisse. En Suisse romande, de nombreux projets sont en cours de réalisation sur la Veveyse, l’Arnon près d’Yverdon, ou encore la Venoge, pour ne citer qu’eux.

Comme pour les plus grandes réalisations hydrauliques, les microcentrales doivent être le fruit d’un compromis entre l’intérêt commun de la production d’électricité, et celui non moins commun du respect de l’environnement, notamment celui de la faune piscicole qui peut facilement être impactée sans prise de précautions, comme des échelles à poissons et un débit d’eau minimal.

À noter cependant que les lacs de retenue des barrages favorisent aussi la biodiversité, et sont très prisés des pêcheurs, car un grand volume d’eau permet aussi un épanouissement de la faune, pour autant que là aussi, un niveau résiduel soit respecté.  

Avec plus de 200 grands barrages et près de 1500 microcentrales déjà construits (admin.ch) l’énergie hydraulique représente le principal atout de la Suisse en matière d’électricité renouvelable, et ce d’autant que contrairement à bon nombre d'autres énergies renouvelables, les grands barrages permettent un stockage de masse d’électricité locale, disponible en quelques minutes quand le besoin s’en fait sentir.

L'électricité produite en Suisse est issue à 58,1% de la force hydraulique, à 32,9% de l'énergie nucléaire, à 2,3% des énergies fossiles et à 6,7% de nouvelles énergies renouvelables (mix de production suisse 2020) admin.ch.